Coup de grisou sur le marché du gaz naturel et crise énergétique

Depuis quelques semaines maintenant, le marché semble de plus en plus inquiété par les conséquences de la crise énergétique en cours en Europe et en Asie, et dans une bien moindre mesure aux États-Unis.

15 octobre 2021

électricité | énergie

En effet, avec des prix du gaz naturel qui se sont envolés (+115% depuis le début de l’année pour les contrats à termes côtés à New York), la pression s’est accentuée sur les consommateurs, forçant certains gouvernements européens à agir via la mise en place d’un bouclier tarifaire sur les prix de l’électricité : l’Espagne veut ponctionner les profits des compagnies de gaz et d’électricité pour les redistribuer aux ménages, l’Italie a annoncé des mesures de 3 milliards d’euros pour amortir la flambée des prix tandis que la France a opté pour la distribution de chèques énergie pour finir par bloquer les prix du gaz jusqu’en avril après la récente hausse de 12,6%. Si les ménages sont touchés de plein fouet par cette hausse – ce qui pourrait potentiellement altérer la consommation à venir notamment à l’aube des achats de Noël – celle-ci fait également planer le doute sur son impact sur les résultats de certaines entreprises et plus généralement sur la croissance mondiale.

 

La reconstitution des stocks dans un contexte d’offre limitée explique la hausse des prix

Mais revenons d’abord sur les principales raisons ayant conduit à cette situation :

Du côté de la demande :

  • Un hiver plus froid en Asie début 2021 a conduit à une hausse de la demande de gaz naturel liquéfié en provenance de Chine, alors même que les autorités auraient récemment demandé aux compagnies du secteur de l’énergie détenues par l’État, de s’assurer d’avoir des réserves énergétiques suffisantes pour faire face à l’hiver, et ce quoiqu’il en coûte. En parallèle, les contraintes environnementales qui limitent l’exploitation du charbon, lequel assure 60% de sa production électrique, a également exacerbé la pression acheteuse de l’Empire du Milieu.
  • En Europe, aux mêmes raisons les mêmes conséquences. Alors que l’hiver avait réduit les inventaires de gaz, certains pays cherchent désormais à reconstruire leurs stocks mais font face à certaines difficultés : les réserves de gaz sont à leurs plus bas niveaux pour cette période (75%) depuis les cinq dernières années (moyenne 5 ans à 90%, voir graphique 1).
     

Graphique 1 : Les stocks de gaz en Europe sont à leurs plus bas niveaux à cette période, comparés aux 5 dernières années (en % de la capacité totale)

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  • D’une manière générale, cette hausse des prix n’est autre que le reflet de l’effet boomerang d’une économie mondiale qui a fortement redémarré après une année 2020 où l’activité économique s’était arrêtée. Un des exemples qui l’illustre est le rebond de la consommation électrique de la Chine de plus de 20% et 10% respectivement au premier et deuxième trimestres 2021 en glissement annuel.

Du côté de l’offre :

  • Sur les dernières années, la transition écologique a accéléré la dépendance de certains pays aux énergies renouvelables… mais intermittentes. Des vents plus faibles au Royaume-Uni, pays dont la production d’électricité dépend à plus de 20% de l’éolien, a ainsi conduit à un report de la demande vers le gaz naturel.
  • Un contexte géopolitique tendu a également pesé sur l’approvisionnement de gaz en Europe. L’Algérie, premier fournisseur de gaz de l’Espagne et dont les relations se sont dégradées avec le Maroc, menace de fermer le robinet de son gazoduc passant par le Royaume chérifien à fin octobre. Si l’autre gazoduc, le Medgaz, peut être une solution alternative pour approvisionner la péninsule ibérique et l’Italie, sa capacité reste cependant limitée. Enfin, les tensions entre la Russie et l’Ukraine ainsi que les débats autour du controversé Nord Stream 2 a très certainement été un catalyseur du plus faible approvisionnement de gaz en provenance de la Russie.

 

Des effets micro et macroéconomiques à venir ?

Cette combinaison de facteurs a ainsi déséquilibré la stabilité offre-demande sur le marché du gaz naturel, non sans conséquences sur d’autres secteurs de l’économie.
Cette hausse des prix du gaz naturel s’est transmise aux autres matières premières. Les opérateurs cherchent à arbitrer leur production énergétique vers le charbon et le pétrole, ce qui explique en partie les hausses de 30% et de 8% respectivement de ces énergies fossiles en septembre, tandis que l’OPEC+, contre l’attente de certains analystes, a décidé de maintenir son scénario de base et de n’augmenter que de 400 000 barils par jour sa production. En bout de chaine, les prix des crédits carbones mais aussi ceux de l’électricité ont bondi (+60 % en septembre pour les contrats à terme sur le Phelix Base).

Cette hausse de prix menace certains secteurs d’activité. D’une part l’action des gouvernements, comme en Espagne, pourrait peser sur les bénéfices des entreprises du secteur de l’énergie : ainsi pour tous les actifs dont le prix de production n’est pas impacté par le prix du gaz, 90% de la sur-rentabilité pourrait être rendue au-delà de EUR 20/MWh. Selon UBS, ces mesures pourraient ainsi coûter de 5 à 10 milliards de dollars sur le secteur dans sa globalité en fonction des niveaux du prix du gaz et des mesures gouvernementales. Un coût peut-être trop important à la vue des autorités espagnoles qui seraient déjà prêtes à faire marche arrière, ou du moins adoucir ses propos. Sur les marchés actions, un prix du gaz moyen de EUR 100/MWh jusqu’au 31 mars 2022 pourrait impacter la valeur des compagnies telles d’Iberdrola et d’Endesa de 3 et 6% respectivement, un niveau cependant plus faible que la correction observée sur le marché ces dernières semaines.

D’autre part, la hausse des prix des quotas carbone est susceptible d’augmenter les coûts des raffineurs de 45 cts à 1.85 dollars par baril, affectant ainsi les marges des segments de raffinage de Total, Repsol et Shell selon un rapport Bloomberg (voir graphique 2). Un montant néanmoins plus que compensé par la hausse des profits sur le secteur amont pour les intégrées comme Total, dont les bénéfices pourraient grimper de 18% en 2022 si les conditions sur le marché du gaz restent telles quelles l’année prochaine selon Goldman Sachs.

Les cimentiers ou les producteurs d’acier pourraient être affectés par cette hausse des prix et de manière plus générale les secteurs ayant un poids élevé des dépenses d’énergie dans leur base de coûts comme l’industrie de l’aviation et du transport. Un rapport de Bank of America note par exemple que les cimentiers, dont le charbon représente 75% de leurs coûts d’électricité et de carburants et le diesel 40% de leurs coûts de transport, pourraient voir leur marge se réduire de 100 points de base dans le cas où le coût de ces deux matières premières augmente de 5%, soit un impact final de 3,5 % à 4,5 % sur l’Ebitda.

Graphique 2 : Une hausse des prix des crédits carbones susceptibles de se répercuter sur les marges des raffineurs

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Enfin, d’un point de vue macroéconomique, cette crise énergétique fait planer le doute sur le rythme de croissance de certains pays, notamment en Chine où certaines usines ont été contraintes de fermer, en partie en raison de cette hausse des coûts énergétiques. Morgan Stanley estime que si les baisses de production liées aux coûts de l’énergie perdurent, la croissance du PIB pourrait être impactée de 1% au quatrième trimestre. Même situation en Inde, où cette fois-ci la faiblesse des stocks de charbon menacent l’arrêt de l’activité économique de certaines entreprises manufacturières. En Europe, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne pourraient être les plus touchées (avec en moyenne plus de 70% de la consommation d’énergie primaire provenant des énergies fossiles). À l’inverse, la France, dont le mix énergétique est orientée vers le nucléaire, et la Suisse, seront probablement plus épargnées.

 

Que faut-il surveiller dans les prochaines semaines ?

Selon les marchés de contrats à terme, le pic des prix pour le gaz naturel est attendu pour février 2022 avant de revenir à des niveaux plus normaux entre mars et avril de l’année prochaine (voir graphique 3), à la sortie de l’hiver. Pour autant, si les liquidations forcées récentes ont exacerbé la hausse des cours, certaines actualités pourraient venir modifier la structure à terme des prix.

Graphique 3 : Structure par terme des contrats futures sur le gaz naturel (GBp/therm)

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Entre autres, les annonces de Vladimir Poutine semblent montrer que la Russie pourrait débloquer la situation à court terme alors même que la construction de Nord Stream 2 est officiellement terminée. Si le gazoduc doit encore passer les tests techniques et la certification, Alexei Miller, le directeur général de Gazprom, a déclaré que le groupe pourrait fournir du gaz à l’Europe d’ici la fin de l’année. Dans ce contexte, il sera utile de surveiller si une inflexion des flux de matières premières arrivant au terminal de Mallnow en Allemagne s’opère, ces derniers ayant fortement chuté depuis juillet dernier.


Enfin, plus important encore, les données météorologiques seront à suivre avec attention. Alors que certains analystes estiment que le marché pourrait finalement déjà intégrer une prime de risque suffisamment élevée pour préparer un hiver rigoureux, une baisse moins prononcée que prévu des températures pourraient calmer les pressions acheteuses.

À plus long terme, il convient de noter que cette crise énergétique pose plus structurellement la question du mix énergétique en Europe : une question autant de compétitivité que d’autonomie stratégique et géopolitique notamment lorsque l’on sait que la demande mondiale d’électricité pourrait croître de plus de 50% à horizon 2050 et que 9% de cette demande proviendrait des véhicules électriques. Aussi, si la crise sanitaire et les catastrophes naturelles récentes auront au moins eu le bénéfice d’accélérer les projets de transition écologique, elles auront également mis en lumière le besoin grandissant d’augmenter les investissements dans ce sens pour faire face à une demande en énergie qui est vouée à accélérer dans les prochaines décennies.

15 octobre 2021

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