Le plan fiscal américain et les options de l'UE

24 mars 2020

pièce | monnaie | stylo

Hier lundi, le Sénat n'a pu procéder au vote du plan de relance, dont les chiffres sont passés rapidement d'un peu moins de mille milliards de dollars US à environ 2 000 milliards de dollars US actuellement, soit près de 10 % du PIB nominal des États-Unis. Les deux parties gardent l'espoir d'un vote aujourd'hui mardi, et un créneau a été réservé dans l'ordre du jour du Sénat pour mercredi, au cas où le plan de relance ne serait pas adopté aujourd'hui. On craint que le projet de loi ne soit bloqué jusqu'à cette fin de semaine. Pendant ce temps, les démocrates de la Chambre des représentants ont publié leur propre projet de loi lundi soir, mettant sur la table un montant encore plus important de 2 500 milliards de dollars.

Il est peu probable que ce projet de loi soit adopté par le Sénat ou qu'il reçoive l'approbation du Président. Cependant, il soumet le Sénat à une certaine pression et sert de modèle à ce que les démocrates feraient si le Sénat n’avait pas une majorité républicaine.

L'une des questions clés est le suivi de toute l’aide financière fédérale allouée aux entreprises. Politico rapporte que le secrétaire au Trésor Mnuchin a désormais accepté une surveillance stricte des 500 milliards de dollars destinés à soutenir les entreprises. Les démocrates souhaitent également créer un « COVID-19 Stimulus Accountability and Transparency Board », un conseil chargé de la responsabilité et de la transparence de l’utilisation des fonds.

Voici les principaux points du nouveau projet de loi de la Chambre des représentants (Vox, 23 mars 2020) :

  • Le projet de loi de la Chambre des représentants exigerait que toute société qui reçoit des fonds de l'aide fédérale donne la priorité aux salaires et aux avantages de ses travailleurs sur les salaires des PDG, les licenciements ou les rachats d'actions.
  • Le projet de loi prévoit d’allouer 500 milliards de dollars de prêts aux petites entreprises. L'assurance chômage serait élargie, avec la création d’une indemnité fédérale temporaire de 600 dollars par semaine pour les travailleurs touchés par le coronavirus et éligibles aux allocations de chômage.
  • Pour les paiements directs, le projet de loi prévoit une aide gouvernementale de 1 500 dollars pour chaque individu et jusqu'à 7 500 dollars pour une famille de cinq personnes. Les retraités et les chômeurs américains recevraient également cette prestation.
  • Elle permettrait de verser plus de 150 milliards de dollars aux hôpitaux et aux centres de santé communautaires pour le traitement du coronavirus et des équipements tels que des ventilateurs, des masques et d'autres équipements de protection destinés au corps médical. Il est en outre demandé à Donald Trump d'invoquer immédiatement le Defense Production Act (loi sur la production de défense). Il est également demandé à l'administration Trump d'approuver une réglementation stricte de l'Occupational Safety and Health Administration (OSHA) pour les travailleurs de la santé.
  • Le projet de loi prévoit la suppression du partage des coûts dans le cadre du traitement du coronavirus et les vaccins pour tous les patients, y compris ceux qui ne sont pas assurés.
  • Le projet de loi prévoit d'investir près de 60 milliards de dollars dans les écoles et les universités américaines ; 30 milliards de dollars seraient versés aux États pour les aider à financer leurs écoles, et 10 milliards de dollars seraient destinés aux universités publiques. Une aide financière destinée aux étudiants emprunteurs en vue du remboursement de leurs dettes est également prévue.
  • Enfin, le projet de loi prévoit d'accorder 4 milliards de dollars de subventions à l'administration des élections aux États pour qu'elle puisse mettre en place des plans d'urgence et préparer les élections, ce qui pourrait élargir le vote par correspondance sans besoin de justification.
 

En Europe, les différentes mesures destinées à soutenir l’économie connaissent aussi une forte hausse. L'Allemagne a jusqu'à présent annoncé un emprunt de 150 milliards d'euros, un budget supplémentaire de 156 milliards d'euros, un fonds de sauvetage de 500 milliards d'euros et le gel des règles relatives au frein à l'endettement du pays. L'ensemble de ces mesures représente 9,1 % du PIB nominal de l'Allemagne. Hier, les ministres de l'économie et des finances de l'Union ont réaffirmé que la clause de sauvegarde des règles budgétaires du Pacte de croissance et de stabilité avait été activée face à la grave récession économique que connaît l'Union européenne.

Le soutien de l'UE à l'Italie, en particulier, fait l'objet de nombreuses discussions. Des obligations COVID-19 ont été proposées, de même que des prêts d'urgence sous les auspices du Mécanisme européen de stabilité, le MES. Des informations pourraient être communiquées sur ces questions le 26 mars, lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'UE. Il existe plusieurs options :

  1. Avec la suspension des règles du Pacte de stabilité et de croissance, tous les pays sont libres d'engager les dépenses dont ils ont besoin tant qu'elles sont liées à la lutte contre le COVID-19. Les pays sont alors soutenus par des achats d'actifs de la BCE.
  2. Le MES est en fait le prêteur fiscal de dernier recours dans la zone euro. Il pourrait activer les transactions monétaires directes, ou TMD. Pour une crise différente, plutôt nationale, ces fonds seraient assortis de conditions concernant, par exemple, la mise en oeuvre future des réformes des systèmes de retraite. Toutefois, les fonds pourraient être spécifiques à la lutte contre le COVID-19 et se limiter aux seules dépenses liées à la crise, notamment les dépenses de santé, les allocations de chômage et le soutien aux entreprises. Le MES dispose actuellement de 410 milliards d'euros, soit 3,4 % du PIB de la zone euro. S'il fallait une occasion pour activer le TDM, cette occasion est arrivée.
  3. Il existe également une disposition qui a été approuvée par le Parlement européen en mars 2019, mais qui doit encore l’être par le Conseil européen pour devenir opérationnelle, et qui prévoit l'émission de titres adossés à des obligations souveraines, les SBBS. Ces titres sont destinés à être émis par des entités privées créées à cette fin. Les SBBS regrouperaient les obligations souveraines de différents pays et les reconditionneraient, offrant ainsi aux acheteurs une exposition plus diversifiée au marché des obligations souveraines de l'UE que ce que les banques nationales, notamment, possèdent habituellement. Son objectif était de réduire la spirale infernale par laquelle les gouvernements et les banques s'affaiblissent mutuellement, comme ce fut le cas lors de la crise financière mondiale. Si l'émetteur est une entité privée, il n'y aurait que le risque du secteur privé, et aucune mutualisation du risque entre les gouvernements européens. Toutefois, le président Macron a suggéré que la Banque européenne d'investissement puisse être un émetteur.
 

Les avantages d'une obligation ou d'un fonds COVID-19 à l'échelle de l'UE ou de la zone euro seraient triples. Une telle obligation témoignerait de la solidarité régionale en temps de crise et enverrait ainsi un signal politique important. Elle permettrait sans doute d'accroître la transparence et la responsabilité. Elle pourrait également permettre à ceux qui disposent de moyens suffisants de soutenir directement les actions prises pour atténuer l'impact de cette crise. Pendant la Seconde Guerre mondiale, 84 millions d'américains ont acheté pour 185 milliards de dollars d'obligations de guerre.

Tout nouveau type de coordination fiscale au sein de l'UE ou de la zone euro nécessiterait de modifier les traités, ce qui n'est pas près de se produire. L'Allemagne serait désireuse de participer à la discussion d'un projet allant dans le sens indiqué ci-dessus, mais elle a exclu tout ce qui pourrait modifier le fonctionnement du budget de l'UE. La bonne nouvelle est donc qu'il existe des options viables pratiquement prêtes à l'emploi.

24 mars 2020

À lire aussi

L’économie américaine va-t-elle finalement atterrir ?

Lancement de Banking Insider, le nouveau podcast d’Indosuez

No time to land