Retour à la réalité ?
Rien de nouveau du côté de la Fed tant sur le plan des actions que des prévisions économiques… ce qui semble suffire en apparence pour déclencher la première prise de profit importante sur les marchés depuis début mai. Retour sur une séance boursière agitée, avec une clôture qui sonne comme un retour à la réalité.
Une correction technique
La tendance haussière des marchés actions des dernières semaines a finalement pris fin hier sans catalyseur fort :
- Aux États-Unis les indices abandonnent en moyenne 5 à 7 % sur la séance du jeudi 11 juin ;
- En Europe les marchés boursiers abandonnaient autour de 4 % hier ;
- La volatilité actions est remontée violemment, à un niveau que nous n’avions pas connu depuis fin avril ;
- En terme de secteurs, on observe une rotation inversée : ce sont les valeurs qui avaient le plus progressé ces dernières semaines qui perdent le plus de terrain (industrie, énergie, banques, consommation cyclique) ;
- Certains marchés actions résistent mieux ; l’ouverture de l’Asie ce matin montre une résilience plus forte, et notamment des actions chinoises qui sont quasiment stables ;
- L’or est revenu au-dessus de 1725 dollars tandis que le pétrole (WTI) abandonne 8,66 % ;
- Les spreads de crédit se sont écartés, comme en atteste l’indice Itraxx Crossover qui remonte de 25 bp ;
- Les obligations d’État jouent modérément leur rôle dans ce mouvement de flight-to-quality (leur taux a baissé de 6 à 8 bp) probablement en raison de leur rendement déjà bas.
Des catalyseurs techniques expliquent en partie cette correction, facteurs que nous identifiions la semaine dernière :
- Des marchés ayant récupéré une part importante de la correction de février/mars (deux/tiers pour l’Eurostoxx 50 et la quasi-totalité pour le S&P 500), et revenus sur des niveaux de valorisation élevés ;
- Des seuils techniques importants avaient été atteints, notamment les moyennes mobiles 200 jours sur l’Eurostoxx 50 qui ont joué un rôle de résistance pour le marché actions européen, désormais redescendu sur la moyenne mobile 100 jours ;
- D’autres indicateurs techniques également mentionnés dans notre note du 5 juin, comme les RSI aussi en zone d’euphorie au-dessus de 70, niveau souvent corrélé à un déclenchement de correction technique ;
- Un ratio put / call sur les marchés d’options qui était en territoire euphorique et qui pouvait montrer qu’une partie de la hausse des actions depuis un mois s’est faite via des achats de calls, dont les gains ont été significatifs mais peuvent s’éroder rapidement ; ceci a pu accentuer la prise de profit observée sur la séance ;
- La remontée de la volatilité qui joue aussi un rôle d’accentuation des mouvements vendeurs.
Au niveau macroéconomique il n’est pas évident d’identifier une causalité unique mais l’actualité de la semaine a été ponctuée par des éléments en demi-teinte :
- Un rapport de l’OCDE plus pessimiste que les projections du FMI d’avril, pointant vers une récession mondiale de 6 % en 2020 ;
- Une balance commerciale chinoise montrant un niveau faible des importations (-16,7 % en glissement annuel, très en deçà des attentes), ce qui suggère un rebond encore partiel de l’activité, même si les effets liés aux matières premières (métaux notamment) sont sans doute importants dans cette baisse des importations ;
- L’emploi américain dont les statistiques montrent une poursuite de la décrue des nouvelles inscriptions au chômage hebdomadaires (environ 1,5 millions sur la semaine précédente contre en moyenne 2 millions les deux semaines précédentes), mais avec un nombre d’inscriptions au chômage qui continue de décroître, tout en restant à un niveau aussi élevé que 20,9 millions.
La réunion de la Fed aura finalement marqué un tournant ou du moins une pause pour la tendance de marché, et ce malgré l’absence d’annonces :
- Les investisseurs n’avaient pas d’attente de mesures supplémentaires concernant cette réunion ;
- L’enjeu essentiel résidait dans la mise à jour des prévisions économiques de la Fed ;
- Sur ce plan, la trajectoire anticipée d’inflation durablement inférieure à la cible constitue une garantie de pérennité de la politique très accommodante de la Fed avec des taux qui devraient rester proches de zéro jusqu’en 2022 a minima ; par ailleurs la prévision de croissance à -6,5 % en 2020 suivie d’une reprise de 5 % en 2021 ne constitue pas une surprise importante par rapport au scénario déjà ancré depuis mi-avril ; plusieurs membres de la Fed s’étaient déjà exprimés sur une trajectoire de baisse du chômage sous la barre des 10 % donc la projection de 9,3 % à décembre 2020 n’est pas non plus une surprise ;
- Mais à l’inverse, une tonalité très prudente a pu inciter les investisseurs à une prise de profits, considérant que beaucoup de nouvelles positives sur la politique économique étaient désormais intégrées.
Cette correction marque-t-elle l’entrée dans la deuxième partie de la configuration de reprise en W déjà discutée ?
- Il est probablement encore tôt pour le dire dans la mesure où il est difficile d’identifier des catalyseurs pour un retour des marchés sur les niveaux les plus bas de mars, alors que nos économies sont en déconfinement, que la liquidité de marché s’est normalisée et que les mesures de soutien sont significatives ;
- Il est aussi possible de relativiser cette correction dont la durée encore très courte et l’ampleur encore modérée (7 % cumulés sur l’Eurostoxx 50) la rendent à ce stade comparable à la correction de début mai ;
- Mais l’ampleur de la baisse du jour et la hausse brutale de la volatilité laissent présager une correction plus importante, qui peut ramener rapidement l’Eurostoxx 50 entre 2900 et 3000 points et le S&P 500 entre 2800 et 2900 points, niveaux à suivre qui peuvent constituer une zone d’appui pour les marchés.
À court terme, nous nous attendons donc plutôt à une correction technique limitée qu’à une nouvelle capitulation.
À moyen terme et de manière plus globale, après une phase d’optimisme poussée par l’action conjointe des banques centrales et des gouvernements, les investisseurs se refocalisent sur la vigueur de la reprise, le risque de reprise de l’épidémie, et le risque politique à la hausse entre les États-Unis et la Chine. Cet été pourrait aussi marquer une montée des tensions autour du Brexit en l’absence d’avancée convaincante des négociations, dont la date butoir va probablement devoir être repoussée, mais les investisseurs s’y sont habitués depuis 4 ans. En revanche, la tendance haussière du chômage que nous anticipons en Europe dans les prochains trimestres pourrait peser sur la consommation.
En conclusion, nous nous attendons à ce que ce retour à la réalité d’une reprise progressive de l’activité impacte désormais davantage les marchés que les mesures de politique économique désormais bien intégrées.
12 juin 2020